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samedi 2 août 2014

La jouissance de Florian Zeller



L’histoire : « La jouissance » raconte l’histoire d’un jeune couple d’une trentaine d’années, Pauline et Nicolas, issus de la « génération Y ». Nicolas est passionné de cinéma et rêve d’en faire son métier à la manière de Godard. Pauline, elle, est angoissée par l’avenir et travaille dans une grande entreprise de cosmétique où elle espère faire carrière.
Pauline et Nicolas se rencontrent, se découvrent, se désirent, s’aiment, vivent ensemble. Si Pauline voit Nicolas comme l’homme de sa vie et celui avec lequel elle se voit vieillir, Nicolas, quant à lui, est beaucoup moins sûr de lui, et a peur de passer à côté de sa vie en restant avec une seule partenaire.
Un jour, Pauline annonce à Nicolas qu’elle est enceinte.  La routine s’installe ; leurs pulsions égoïstes et leur envie de fuir l’engagement aussi.
Ce que j’en pense : pour moi, «la jouissance » est plus une analyse psycho-sociologique du couple moderne qu’un véritable roman. En effet, l’histoire est plutôt sommaire et banale et le lecteur attachera beaucoup plus d’importance à l’analyse des sentiments de chacun des personnages (dès les premières pages, j’ai eu envie de prendre mon carnet et mon stylo pour prendre des notes).
D’ailleurs, Florian Zeller avoue volontiers avoir rédigé ce livre après observation de son entourage. La plupart de ses amis, trentenaires, se sont tous installés en couple et ont commencé à faire des enfants… pour se séparer peu de temps après. Etonnant ? Pas tant que ça pour une génération qui a, selon l’auteur, « désappris » à faire des enfants.
Mais alors, « la jouissance » de quoi ça parle ?
Tout d’abord, on peut y voir assez nettement la différence de conception de l’amour et du couple entre l’homme et la femme.


L’amour au masculin est très terre à terre et cartésien. L’homme a notamment besoin de définir et d’identifier chaque sentiment avant de pouvoir leur donner une existence. Il a également un besoin chronique de comparaison entre ses différentes partenaires pour s’assurer qu’il a bien ce qu’il y a de meilleur. En effet, l’homme supporte assez mal l’idée de rester avec une seule partenaire toute sa vie car il ne pourra satisfaire tous ses désirs et il aura l’impression de passer à côté de sa vie. C’est notamment cette pensée qui le fait fuir (en courant) l’engagement.
La femme, au contraire, place l’amour sur un piédestal et donne plus d’importance aux sentiments et au spirituel qu’au pragmatisme. Contrairement à l’homme, elle a une vision monogame de l’amour et croit à l’amour pour la vie. Ce qu’elle attend de l’amour, c’est avant tout un moyen de se rassurer. Pour cela, elle souhaitera trouver un homme en qui elle verra un protecteur et qui la rassurera sur ses angoisses à propos du futur. C’est donc pour cela qu’elle recherche l’engagement.
On peut aussi noter que la vision de la femme selon le personnage de Nicolas est binaire : soit elles sont des femmes d’une vie (Pauline), soit elles sont des femmes d’une nuit (Sofia). Mais il n’existe pas de troisième catégorie.
Une question essentielle est également posée dès le début du livre et constitue son thème principal : pour qui peut-on encore se sacrifier aujourd’hui ?
Dans « la jouissance », il est question d’enfant et de maternité. On sait tous que la naissance d’un enfant bouleverse la vie d’un individu qui devra alors faire de nombreux sacrifices pour cet enfant.
Néanmoins, « la génération Y » que nous sommes, qui nous regardons constamment le nombril en quête d’amour et d’estime de soi, qui ne jurons que par les loisirs et par les plaisirs solitaires… sommes-nous vraiment prêts à accueillir un enfant ? Sommes-nous vraiment prêts à disparaitre et reléguer notre individualisme au second plan pour un enfant ?
Vraisemblablement pas pour l’auteur.


Ce livre pose définitivement la question de la place du MOI dans le couple aujourd’hui. Pour Nicolas, l’engagement et les sacrifices que cela implique lui donnent envie de fuir à toutes jambes ! Hors de question de sacrifier ses sorties, ses potes, ses envies, sa carrière (bref tout ce qui excite ses pulsions narcissiques et égoïstes) pour sa compagne ou son enfant qu’il relèguera au second plan (ou à sa mère). C’est d’ailleurs cette absence de sens du sacrifice qui va le conduire à l’infidélité ; il se révèlera incapable de placer son MOI après son enfant et après sa compagne.
Pauline, quant à elle, rêve du type de relation qui existait au siècle dernier mais surtout d’une relation où elle pourrait totalement maitriser son compagnon et le modeler selon l’image qu’elle souhaite. Pauline fera donc passer ses désirs avant ceux de son compagnon et de sa personnalité.
Ainsi, Pauline et Nicolas représentent une génération qui n’a plus le sens du sacrifice. Ils n’aspirent qu’à la jouissance individuelle. C’est ce qui explique, selon l’auteur, le nombre de séparation des jeunes parents trentenaires de nos jours.
Par ailleurs, pour nous parler du couple, Florian Zeller a choisi de comparer la construction du couple à la construction de l’Europe. En ce qui me concerne, je n’ai pas trouvé cette analyse particulièrement pertinente et percutante, donc je passerai sur ce sujet.
Enfin, « la jouissance » est un livre qui se lit en très peu de temps (une journée peut suffire) et très facilement. Le lecteur n’éprouve pas de sensation d’ennui : les phrases sont courtes, le rythme dynamique constant, le style est incisif mais fait passer intelligemment le message de l’auteur.
Après avoir refermé ce livre, je me suis dit que beaucoup de couples ont sans doute dû se reconnaitre à travers Pauline et Nicolas. Et qui sait, peut-être même l’auteur le premier..

Et pour finir, une petite citation :
-          « Ça se passe bien entre vous ?
-          Pourquoi ?
-          Non je te pose la question.
-          Ça va.
-          Parce que j’ai remarqué que la plupart des gens qui font un enfant se séparent dans l’année qui suit…
-          Tu dis ça pour me remonter le moral ?
-          Non, non, je te dis ça sérieusement. Tu n’as pas remarqué ? Moi, en tous cas, autour de moi, c’est flagrant. […] C’est quelque chose qui me frappe. Pas toi ? Il me semble qu’avant, le fait d’avoir un enfant avait plutôt tendance à consolider les liens entre les parents... Non ?
-          Je ne sais pas. Moi, mes parents se sont séparés quand j’avais quinze ans. Les tiens aussi ».

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